Quelle Valeur ajoutée pédagogique peut apporter l’usage en classe de BD ?

La question introductive est d’un  intérêt majeur. La réponse n’est pas aisée dans la mesure où il n’existe pas de méthodologie normée et standardisée permettant de mesurer cette valeur ajoutée. Force est donc de s’attarder sur des témoignages souvent individuels d’enseignants qui ont mis en place une expérimentation avec un bel enthousiasme mais qui peuvent être tentés d’être « coulant » voire laxiste quant aux résultats, ne serait-ce que pour positiver les efforts de leurs élèves, motivation louable.

Le point de départ des diverses expérimentations  – quel est notre objectif ? – est variable, ce qui accentue la difficulté de la mesure. Apprendre à lire à des enfants équatoriens, vivant sur les hauts plateaux andins ou dans un bidonville de Guayaquil ?  Travailler avec des enfants américains souffrant de troubles dys ? Stimuler la créativité de collégiens français, et mettre en compétition un projet dans c pays qui a inventé un festival de  BD et fait place à des concours scolaires ? Transmettre des connaissances scientifiques ardues ?

UNE THESE DE MEDECINE EN BD

Ce dernier bastion des sciences dures hostile à la BD est tombé progressivement.  En effet, la BD pédagogique universitaire s’est trouvée un précurseur  bardé de diplômes. Serge Tisseron en 1976 a obtenu un grade de docteur en médecine grâce à une thèse soutenue devant un jury  de ce que l’on nommait à l’époque l’UER Médecine Grange-Blanche de l’Université de Lyon 1. Le  sujet remplissait les canons académiques, très sérieux, un tantinet rébarbatif. « Contribution à l’utilisation de la bande dessinée comme instrument pédagogique : une tentative graphique sur l’histoire de la psychiatrie ». Le fond, produit de plusieurs années d’études médicales, a satisfait les exigences du jury. La forme était iconoclaste, car la BD était considérée à l’époque comme inconcevable pour un travail de doctorat. Les 53 premières pages, consacrées aux définitions des pathologies et à l’histoire de la psychiatrie, étaient entièrement composées de bandes dessinées  (voir figure 1)

Le reste du travail, d’une forme plus orthodoxe, proposait aux autorités universitaires d’explorer les pistes d’une utilisation dans la pédagogie au même titre que les médias majeurs de l’époque, la télé et la radio. Concluant ainsi :

« Les deux types d'argumentations avancés ici en faveur de l'introduction de ban de dessinée dans la pédagogie universitaire, comme outil utile par ses qualités propres, mériteront des développements ultérieurs ; D'une part, le problème de la MOTIVATION c'est-à-dire de cet état d'éveil spécifique du système nerveux induit par l'état affectif du sujet et conditionnant le déchiffrage et la mémorisation d'un message. D'autre part, la mise en jeu, au cours de lecture de bandes dessinées, de processus d'intégration complexes, puisque la compréhension nécessite ici l'appréhension et la synthèse de signaux graphiques et verbaux à la fois ... »

Cette thèse a également fait l’objet d’un article dans la revue Communication et Langages

La bande dessinée peut-elle être pédagogique? - Persée

 

EN PRIMAIRE ET SECONDAIRE

La pédagogie au niveau primaire et secondaire s’était déjà appropriée la BD. Dans le monde hispanisant, Mafalda, la petite fille de Buenos Aires, préoccupée de l’avenir de la planète et victime d’une sainte horreur de la soupe, a commencée à être utilisée comme outil d’apprentissage de la lecture à la fin des années 70.

En Europe, Wallner (2017), analysant les directives ministérielles suédoises,   conclut que les bandes dessinées ont généralement été laissées de côté par les décideurs en matière d’éducation. La Belgique et la France font une exception : avec une riche histoire dans la création de bandes dessinées, elles les voient utilisées en classe. En France, les autorités scolaires recommandent leur utilisation. Cependant, les enseignants déplorent le manque de conseils pratiques des autorités (Depaire, 2009)

Une étude/guide financée par la commission européenne  EdComix Eramus+ project estimait que 30% des enseignants de l’UE ont utilisé ou utilisent la BD. EdComix Erasmus propose un guide de ressources pour enseigner les langues principalement l’anglais. (voir partie II). Plusieurs types d'utlisation sont déployés

Concours

SERBIE

Le Serbe Miomir Dejanović a été instituteur à Vranje pendant plus de 30 ans. Tout jeune, il se passionne pour le dessin et les BD et devenu enseignant, il décide d’en faire un axe majeur de son enseignement. « Je n’ai comme tout enseignant aucun contrôle sur les programmes décidés par les ministères. En revanche, le choix de la façon de transmettre est libre. Les enfants sont naturellement doués d’une grande créativité. Ce serait un grand dommage de ne pas l’utiliser et la faire progresser" (figure 2)

Il met donc en branle toute une série d’ateliers. « J’aime transmettre des messages importants aux enfants par le biais de la bande dessinée et du jeu parce que cela leur est proche et augmente considérablement leur participation au processus d’enseignement. Les élèves se souviennent des cours auxquels ils participent, ils les apprécient. «   a-t-il déclaré  dans une interview accordée  à K12 Digest  un media spécialis&é Education

Comics as an Educational Tool - K12 Digest

“« Nous faisons des bandes dessinées avec les élèves dans des classes de langue maternelle, de culture artistique, dans des classes d’activités libres, dans des ateliers de bande dessinée, sur différents sujets : écologie, droits des enfants, selon des contes de fées, des fables, à partir de textes d’auteurs d’enfants bien connus, ou le contenu grammatical que les élèves apprennent beaucoup plus facilement à travers la bande dessinée que lorsqu’ils sont enseignés de manière classique et démodée. La communication de l’information de manière traditionnelle (présentation orale par les enseignants) est trop uniforme et terne pour les élèves. Cependant, si nous offrons la même information par le biais de bandes dessinées, les enfants l’adopteront beaucoup plus facilement et garderont dans leur mémoire plus longtemps »

L’enseignant estime qu’il est important de valoriser le travail des enfants en participant à des concours. Les BD des élèves de Mlomir ont remporté le Prix  Development and Popularisation of Balkan Comics Award en  2017, 2018, 2019 and 2020, certains dotes financièrement.  Lui même, dans ce sillage des concours a été déclaré “un des meilleurs enseignants de Serbie ». Mais il considère que si le coup de ptojecteur est utile, est ailleurs, dans l’effet d’entrainement de ces projets.

« Mes élèves ont remporté de nombreuses premières places dans des concours nationaux et internationaux avec des bandes dessinées, ce que je considère comme ma réussite et la reconnaissance d’un travail de mentorat réussi. Je dis aux enfants de travailler avec persévérance et amour, car c’est seulement par l’amour que nous accomplissons des actes sublimes. À mon avis, l’art est tout ce que l’homme crée par amour et non par cupidité. L’argent perd de toute façon sa valeur avec le temps, et les actes humains durent !  Bien sûr, les bandes dessinées ne sont pas tout-puissantes, mais les effets de leur application dans l’enseignement sont sans aucun doute grands. Il peut être utilisé dans presque tous les sujets et a de nombreux effets sur les enfants. Il ne nécessite pas de gros investissements, ni de moyens techniques coûteux en interprétation, mais seulement la bonne volonté et le talent du dessinateur (le talent n’est pas crucial non plus, car il est possible d’utiliser les réalisations convenables des autres). C’est pourquoi nous devrions essayer de faire sortir le comique de l’ombre des outils pédagogiques plus chers, mais certainement pas plus puissants, dès que possible.

 

EN FRANCE

Le ministère consacre plusieurs pages au phénomène de la BD pédagogique sur le site Eduscol. Outre un guide de bonnes pratiques (voir Partie II), la promotion des concours scolaires occupe une bonne place

Le concours de la BD scolaire

Organisé chaque année par le Festival International de la Bande Dessinée d'Angoulême, le concours de la BD scolaire est ouvert à tous les élèves de la grande section de la maternelle à la terminale. Il consiste à réaliser une bande dessinée dont le thème est libre. Les meilleures bandes dessinées, sélectionnées par tranche d'âge, sont distinguées par un Petit Fauve d'Or, d'Argent ou de Bronze.

Le Prix Fauve des lycéens

Le Fauve des lycéens, organisé par le Festival International de la Bande Dessinée d'Angoulême, vise à faire découvrir le 9^e art aux lycéens, à développer leur goût pour la lecture, à stimuler leur imagination et leur créativité ainsi que leur goût pour le dessin. Il a également pour objectif de développer leur esprit critique. Un jury de 1 000 lycéens choisit la BD lauréate du prix parmi 10 albums de la sélection officielle du festival d’Angoulême.

Le concours Bulles de mémoire

L'Office national des anciens combattants et victimes de guerre (ONACVG) propose aux élèves de collège et de lycée de participer à un concours de bande dessinée Bulles de mémoire et de réfléchir sur l'héritage des grands conflits du XX^e siècle.